Escale en terre belge

Lieu : St Josse (métropole bruxelloise)
Mission : recherches / projection urbaine
Surface plancher : 3.250 m²
Statut : réflexion menée en 2014

la couture urbaine

Ce projet de recherche se situe dans la commune de St Josse, à Bruxelles. Le choix de ce site s’appuie sur l’outil du contrat de quartier, spécifique à la région bruxelloise. Cette politique publique de revitalisation urbaine propose une action transversale entre développement culturel, action sociale et réhabilitation physique. Le contrat de quartier s’appuie sur une manière particulière de penser la ville : la couture urbaine.

Dans ce cadre, le quartier Madou – St Josse est le lieu de tous les possibles, dans lequel plusieurs processus socio-économiques sont à l’œuvre. St Josse est en réalité une commune de transit, avec beaucoup de population immigrée, des ménages à faibles revenus et des mouvements de population constants. La densité importante du bâti, l’exiguïté des logements et les dimensions restreintes des espaces publics conduisent à une extrême sollicitation de ces derniers par les usager·e·s.

Face à ce constat, je propose de réfléchir à ce phénomène de mobilité en changeant les mots pour changer la manière d’appréhender la fabrique de la ville. Et si ces immigrant·e·s devenaient des voyageur·euse·s ? Et si la commune de St Josse acceptait ce statut de terre d’accueil plutôt que de chercher systématiquement à fixer sa population sur place ? Le projet urbain se décline alors en trois concepts :
> habiter, les temps du voyage (6 jours / 6 semaines / 6 mois)
> échanger, la découverte de l’autre (le travail sur l’interstice et le tissu associatif)
> laisser place, vers d’autres contrées (la mutabilité, la flexibilité et la légèreté d’implantation)
L’idée est ainsi, en se basant sur le renouvellement urbain, d’inscrire le temps court et changeant du voyage dans la ville-palimpseste. Pour citer Maurizio Cohen à propose de l’intervention de Siza, « le projet n’est pas conçu comme une solution définitive, mais plutôt comme le chapitre d’une histoire, le lieu d’un passage ».

plan urbain

L’interstice

Le tissu associatif s’adapte au voyageur par sa facilité d’approche : il est gratuit ou peu cher, et non conventionnel. Le voyageur ou la voyageuse qui reste quelques temps peut choisir de s’investir ou non dans cette vie parallèle, en marge des institutions. Le pôle de l’interstice permet une visibilité entre les programmes, évitant une dispersion illisible pour les gens de passage. En satisfaisant des besoins immédiats en même temps que des besoins culturels et sociaux, il touche un public large et diversifié.

L’îlot Cudell est rapidement identifié comme support de projet. Il est constitué d’un pourtour de maisons de ville, et occupé en son cœur par une école et un gymnase dont les bâtiments se font vieillissants. Autrefois, il était entièrement occupé par des halles de marché. Lieu de communication et d’échange, de rencontres et de paroles, lieu de conquête sociale populaire (les aristocrates n’y vont pas) et féminine (la femme marchande est indépendante)… Dans le palimpseste urbain, le centre socio-culturel remplit ce rôle et prolonge ces usages.

Pour accompagner le voyage, des usages mixtes se dessine, avec une logique de substitution respectant la construction de la ville ancienne. Le cœur de l’îlot est ainsi vidé, et le programme se déploie comme suit sur 3.250 m² :
> l’interstice : centre socio-culturel, bar associatif, ateliers, structure d’escalade/projection en plein air (1,2)
> couture : 3 logements de 6 jours, une laverie, 3 logements de 6 semaines, 3 logements de 6 mois, terrasses suspendues (5)
> la halle : espace extérieur et halle suspendue pour des usages mixtes sportifs et culturels (3)
> le jardin : un jardin de pluie, une halte-garderie et des potagers (4)

plan masse

LA PORTE

La porte déroule le fil rouge du projet qui commence dans le centre socio-culturel. Semblable à un nuage coloré, suggestive, elle invite plus qu’elle n’indique son usage. A la fois signal, châssis, siège, échelle et sculpture, c’est une marque plus qu’une séparation. Son ombre la multiplie et brouille la frontière entre le métal et son fantôme… Le seuil de l’interstice garde lui toute sa rigueur aristocratique avec ses piliers de pierre bleue : la porte lui renvoie une image douce et floue du franchissement.

LA HALLE

La halle ponctue l’intervention dans le cœur d’îlot par sa masse. Lanterne suspendue, elle peut s’ouvrir presque entièrement au niveau du sol pour mieux accueillir. Le fil rouge qui parcourt le projet le pénètre sur ses flancs par le biais des escaliers et dessine son ciel intérieur avec des passerelles qui fusent entre les blocs techniques (toilettes, vestiaires, réserve, salle). Ceux-ci se nichent dans la partie supérieure de la halle pour ne pas perturber l’espace au sol.
Elle se glisse le plus légèrement possible entre les masses existantes, et c’est pourquoi son empreinte au sol est la plus minimale possible (zone d’évolution d’un terrain de basket). Les quatre portiques treillis, semblables à un exosquelette, et son enveloppe translucide sont un clin d’œil au passé industriel de St Josse, et une version en négatif de l’ancien gymnase qui s’affichait comme une masse opaque.

plan urbain

LE Jardin

Le jardin termine (ou introduit) le fil rouge avec l’enceinte de la cour qui se plie pour retenir la terre et ceindre le toboggan. Le toit de la halte-garderie se plie aussi, en souvenir des sheds des anciennes annexes du gymnase, et vient mourir contre l’existant. Ainsi, la halte et l’escalier de la halle fonctionnent comme une agrafe, avec son accroche à l’existant.
A l’est, le jardin de pluie prolonge l’espace en angle d’îlot qui existait déjà. Le Maelbeek (ruisseau urbain) avait fait son lit dans la rue qui borde l’îlot Cudell. Durant la Révolution Industrielle, on l’enterre pour des raisons d’hygiène. C. Mahaut proposait dans sa thèse «Les nouvelles rivières urbaines» de réinventer ces cours d’eau oubliés par un travail doux sur la peau de la ville : un maillage d’espaces perméables, pour un nouveau réseau alternatif au rejet à l’égout des eaux de pluie…
A l’ouest, la cour accueille les enfants sans pour autant les enfermer : la réelle limite n’est pas le mur, mais les façades des maisons de ville qui ceignent l’îlot. Une partie de parcelle privée est annexée pour accueillir un jardin pédagogique et un jeu de pente. Une parcelle libre est réutilisée pour offrir des terrasses suspendues, rompant le skyline monotone de la rue. Ainsi, la halte profite de ces deux espaces en même qu’elle les dessine. Le trajet des enfants est ponctué par des objets colorés qui leur servent de repères et aident à l’orientation.

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COUTURE

Le logement est un marqueur social porté à son paroxysme dans l’hôtellerie. Un monde sépare le palace et le garni.
(Michelle Perrot, Histoire de chambres).

St Josse, une terre d’accueil qui ne mérite son nom que si elle peut offrir un foyer temporaire au voyageur·euse fatigué. Pour cela, trois durées de séjour ont été choisies : 6 jours, 6 semaines, 6 mois. Relativement courtes, elles impliquent toutes que le logement soit prééquipé. Le logement est ici envisagé par le biais de la chambre, qui est l’essence même de l’abri du voyageur·euse (la chambre d’hôtel, par exemple). La chambre est un endroit de retrait dans un monde hyperactif et fluctuant. Le désir de chambre est important chez l’exilé·e, l’immigré·e, le voyageur·euse : car elle représente à la fois un accès à la cité (la fenêtre et les rideaux, ces voiles du temple), et une capacité de retrait protectrice (importance majeure de la porte et de sa clé, le talisman : car la porte a un pouvoir d’admission et d’élection). C’est donc autour des limites de cette boîte, réelle et imaginaire, que va se travailler le logement du voyage.
Cette réponse prend place dans des parcelles assez étroites, laissées libres après le départ de l’école du cœur d’îlot. Elle pourrait en théorie être reproduite dans d’autres dents creuses que la commune rendrait disponibles. Le dessin des logements permet de donner accès au paysage intérieur de l’îlot, comme une vue privilégiée de laquelle iels disposent pendant le temps de leur séjour. En effet, on demeure plus dans sa chambre d’hôtel que dans la chambre de son logis. On accorde donc plus d’importance à l’ouverture sur l’extérieur, la situation, la vue…

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